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Flore et végétation
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Végétations azonales

Même pas mal
   Les parois et éboulis proposent aux plantes qui veulent s'y installer de multiples défis que seules quelques espèces arrivent à relever.

   Les zones humides, en particulier dans le secteur méditerranéen du département, offrent, en particulier l'été, des contrastes saisissants entre les paysages que façonnent espèces méditerranéennes et hygrophiles.

   Encore (un peu) préservées de l'agriculture intensive, les Alpes-de-Haute-Provence sont un refuge pour nombre d'espèces des moissons, et les parcours ovins maintiennent des espaces ouverts au sein des forêts et sur les sommets.

   Hétéroclite, la flore des espaces urbanisés ne manque pas de charme, notamment par son ingéniosité et sa vivacité qui lui permettent de s'accommoder tant bien que mal des multiples agressions dont elle est la cible.

Parois et éboulis

   Il est toujours étonnant d'observer, comme suspendus dans le vide, les genévriers de Phénicie des grandes parois des gorges du Verdon. On se demande aussi quelle drôle d'idée pousse certains saules ou certaines fougères à se contorsionner pour émerger des pierriers. Nombre de plantes vivent en solitaire au milieu d'étendues minérales. Si se développer dans ces milieux hostiles a un coût, il a aussi un avantage, celui d'éviter la concurrence.

   Tous les végétaux (ou presque) ont besoin d'un sol dont leurs racines vont extraire les nutriments nécessaires à leur développement. On distingue dans ce sol deux parties distinctes et complémentaires.
La partie organique provient de la décomposition des débris végétaux ou animaux, la partie minérale de l'altération physique et chimique de la roche.

   Dans les parois, les contrastes de température et d'humidité, toujours importants, s'accentuent avec l'altitude. Durant la saison estivale, le sol squelettique (réduit le plus souvent au maigre humus qui colmate les fissures) n'est pas apte à retenir une quantité d'eau importante et les plantes subissent très régulièrement des stress hydriques intenses renforcés l'été par la canicule et la rareté des pluies. Les vents violents et les chutes de pierres peuvent endommager ou arracher les plantes.
   Dans les éboulis, moins pentus, les éléments rocheux qui les composent et l'air interstitiel isolent le sol de l'atmosphère. La sécheresse et les contrastes thermiques sont moins prononcés. En altitude, la plupart des pierriers sont alimentés par l'eau de fonte des névés ou par des sources. En revanche, l'instabilité est un défi de taille. Alimentés par les parois en amont, remaniés par les ruissellements, déplacés par le glissement du substrat (solifluxion) ou les avalanches, les éboulis sont en perpétuelle évolution.
   On l'aura compris, la vie accrochée aux parois ou dans l'instabilité de l'éboulis est pleine d'aléas et requiert des adaptations peu communes !

   Les plantes saxicoles (de saxi- rocher et -cole, qui habite) ont développé des stratégies pour aller chercher l'eau dans la profondeur des fissures, pour limiter l'évaporation ou pour résister à des froids intenses. De longues racines, des feuilles coriaces, parfois recouvertes de cire, présentant une cuticule protectrice, ou densément garnies d'un feutrage de poils, des tissus succulents gorgés d'eau, permettent de profiter de la moindre goutte d'eau et de diminuer l'évaporation. Certaines fougères sont douées de capacités de reviviscence : elles se déshydratent presque complètement, se recroquevillent sur elles-mêmes pendant la saison sèche, pour reverdir et s'épanouir aux premières pluies. De nombreuses plantes présentent une forme « en coussin ». Celle-ci constitue le type d'architecture presque exclusif qu'adoptent les végétaux sur les plus hauts sommets de nos Alpes comme les androsaces. Cette structure compacte, qui conduit à exposer le minimum de surface pour un volume donné, permet de tamponner les variations de température et d'humidité de la plante (Larcher 2010). De plus de nombreuses et très fines racines, développées à l'intérieur même du coussinet, puisent les particules minérales apportées par le vent et l'eau ou issues de la décomposition des anciennes feuilles. Ce coussin en quelque sorte "s'auto-alimente".

   Les lithophytes, plantes qui vivent dans les éboulis, offrent des adaptations anatomiques et morphologiques essentiellement liées à leur vie dans des sols instables. Certaines espèces sont capables de supporter le mouvement (stratégie migratrice) tandis que d'autres luttent contre celui-ci (stratégie stabilisatrice) (Somson, 1984).
   Les lithophytes migrateurs par allongement possèdent un appareil végétatif souterrain très peu ramifié qui s’allonge annuellement en se développant dans le sens de la pente avec le mouvement des matériaux. La bérardie (Berardia lanuginosa), dont les larges feuilles sont plaquées contre le substrat et dont le pivot de fixation semble « remonter » dans les matériaux, en constitue un bel exemple. C'est aussi le cas du pavot alpin (Papaver alpinum) ou encore de l'oseille à deux styles (Oxyria digyna).
   Chez les lithophytes migrateurs par régénération, le déchaussement, la fragmentation des tiges et des rhizomes occasionnés par les remaniements du substrat, sont compensés par leurs capacités de régénération par multiplication végétative.
   Certaines espèces combinent ces deux stratégies. La benoîte rampante (Geum reptans) dispose d'un rhizome robuste (tige souterraine) qui assure l’ancrage et la progression de la plante dans l’éboulis. Elle utilise aussi la reproduction clonale par division du rhizome et production de stolons en surface.
   Les lithophytes indépendants comme la renoncule à feuilles de parnassie (Ranunculus parnassifolius) s’affranchissent des contraintes du mouvement. En cas de glissement, le pied entier est déterré, entraîné en aval, et s'enracine à nouveau (si les conditions le permettent).
   La saxifrage à feuilles opposées (Saxifraga oppositifolia), lithophyte stabilisateur, possède un appareil végétatif aérien particulièrement compact qui contribue à retenir les particules fines quand, pour la valériane des montagnes (Valeriana montana), c'est le réseau souterrain très dense qui concourt à freiner les glissements.

   Selon les conditions locales et la nature du sol (cristallin ou calcaire) ce sont différentes communautés qui vont tenter de coloniser les parois et les éboulis.

   Les clues, gorges et canyons constituent une des originalités du pays bas-alpin. Ces défilés encadrés par des falaises resserrées et parcourus le plus souvent par un cours d'eau, offrent un agencement original de la végétation. Lors de la descente dans un de ces canyons, la luminosité et la température diminuent quand l'humidité augmente. Ce phénomène conduit à une inversion de la répartition de la flore. Les plantes supportant la sécheresse et les températures élevées se développent sur le haut des parois tandis que celles qui recherchent de l'ombre ou davantage d'humidité s'étagent jusqu'au fond de la gorge. Cette disposition particulière se complique encore avec les irrégularités du relief. Les baumes, grottes, surplombs, ressauts, rebords de terrasses, dévers, goulottes multiplient les microclimats et entraînent l'existence d'une mosaïque d'univers contrastés.

   Dans les basses gorges et le grand canyon du Verdon prédominent les calcaires massifs. De nombreuses fougères colonisent ces milieux. La rue des murailles (Asplenium ruta-muraria), la doradille de Pétrarque (Asplenium petrarchae) ou le cétérach (Asplenium ceterach) dans les secteurs les mieux exposés, le réglisse des bois (Polypodium cambricum) ou la scolopendre (Asplenium scolopendrium) dans les ravins frais.
   La rarissime doradille du Verdon (Asplenium jahandiezii), endémique des grandes gorges, n'est connue, à la surface de la terre qu'entre Castellane et Moustiers-Sainte-Marie. Le phagnalon repoussant (Phagnalon sordidum), la dauphinelle fendue (Delphinium fissum), la grande éphèdre (Ephedra major), le scandix étoilé (Scandix stellata), l'orpin à odeur suave (Sedum fragrans) sont d'autres plantes originales en compagnie des subendémiques raiponce de Villars (Phyteuma villarsii) et sabline du Verdon (Moehringia intermedia), mais aussi de la passerine dioïque (Thymelaea dioica), de la potentille des rochers (Potentilla caulescens) de l'érine des Alpes (Erinus alpinus), de la saxifrage à feuilles en languettes (Saxifraga lantoscana), ou du millepertuis verticillé (Hypericum coris) qui piquettent ces parois aussi bien à l'ubac qu'à l'adret.

   Au nord de Digne, le Bès traverse des clues spectaculaires formées de roches compactes qu'il a entaillées.
Le Bès traverse d’abord la clue de Verdaches aux rochers souvent sombres dominés par des boisements de pin sylvestre qui accentuent encore l'austérité du site. Taillée dans des grès entrecoupés de fins lits de charbon, cette clue abrite quelques espèces acidiphiles comme l'orpin de Montereale (Sedum monregalense) associé à la doradille du nord (Asplenium septentrionale).
À l'aval, la clue de Barles est formée dans de puissantes barres de calcaire tithonique disposées en feuillets verticaux plus ou moins resserrés. Elle héberge le genévrier thurifère (Juniperus thurifera) qui colonise activement les fissures un peu larges et les vires rocheuses. Lui sont associés des thermophiles comme le jasmin jaune (Jasminum fruticans), l'érable de Montpellier (Acer monspessulanum), le pistachier térébinthe (Pistacia terebinthus), une joubarbe (Sempervivum calcareum). Sur les escarpements calcaires ensoleillés de la Cloche de Barles qui domine la clue s'épanouissent le buplèvre des rochers (Bupleurum petraeum), la raiponce de Charmeil (Phyteuma charmelii), et la primevère marginée (Primula marginata). Le myosotis à petites fleurs (Myosotis minutiflora), discrète espèce annuelle très rare, n’est connu dans notre département que dans ce même massif des Monges, où il occupe les replats ombragés situés aux pieds des abrupts calcaires.

   Les lapiaz (ou lapiés), comme on en voit de remarquables sur la montagne de l'Aup à Saint-André-les-Alpes sont des modelés caractéristiques du karst, nom donné (d'après le massif éponyme) aux phénomènes de dissolution des calcaires massifs par l'eau de pluie au fil des temps géologiques. Ils se présentent comme des dalles calcaires horizontales ou faiblement inclinées cisaillées par un réseau de figures creusées par la dissolution. Cannelures, rigoles, fissures verticales et failles plus ou moins profondes et plus ou moins larges forment autant de niches écologiques occupées par une mosaïque végétale où se côtoient des espèces d'éboulis, de rochers ou de plantes recherchant l'ombre appartenant aux forêts ou aux lisières. Sur les parties les plus exposées se développent lichens et mousses. Un début de sol permet la présence de quelques annuelles. Dans les fissures étroites s'installent la doradille verte (Asplenium viride), la doradille des fontaines (A. fontanum), dans celles plus larges le dryoptéris submontagnard (Dryopteris submontana) ou le polypode commun (Polypodium vulgare). Par place une flore forestière ou de lisière profite d'un sol plus profond où apparaissent l'aconit tue-loup (Aconitum lycoctonum), l'actée en épi (Actaea spicata), le géranium noueux (Geranium nodosum), la calament à grandes fleurs (Clinopodium grandiflorum), mais aussi la pivoine (Paeonia officinalis). C'est également au sein de ces cavités que l'on observe une curiosité végétale, l'hellébore d'hiver (Eranthis hyemalis), une renonculacée qui fleurit dès la fonte des neiges et dont l'indigénat demeure énigmatique.
   Dans ces zones karstiques, des cavités appelées avens, sorte de puits verticaux ou subverticaux, offrent des parois abruptes et humides tapissées par des mousses et des hépatiques et sur lesquelles s'implantent quelques saxicoles. Le fond du gouffre, quant à lui, profitant d'un excédent d'humidité et de matière organique, accueille parfois une végétation luxuriante à fougères de taille singulière.

   Dans l'Ubaye, au col des Terres Blanches suivant un même principe d'altération par l'eau de pluie, les affleurements de gypse présentent des entonnoirs de dissolution colonisés par des lithophytes recouvreurs : saxifrage à feuilles opposées, saule à feuilles tronquées (Salix retusa), dryade (Dryas octopetala) …

   Les terres noires ou "bad-lands", si communes de Castellane à Bayons, sont des marnes (mélange d'argile et de calcaire) colorées par de micro-grains de sulfure de fer et dans une moindre mesure de la matière organique fossile. Leur faible couverture témoigne de la difficulté pour les plantes à s'implanter dans ces terrains instables et particulièrement sensibles au ruissellement. La calamagrostide argentée (Achnatherum calamagrostis), la paronyque imbriquée (Paronychia kapela), le laser de France (Laserpitium gallicum) ou encore l'épervière à feuilles de statice (Tolpis staticifolia) sont les plus fréquentes. Le chou étalé (Brassica repanda) complète parfois ce peuplement.
   Dans les petits bassins versants inscrits dans ces terrains marneux, de nombreux gisements d’arbres subfossiles (Pinus sylvestris) ont été découverts dans les sédiments. Ces pins ont été enfouis par les dépôts anciens de crues des torrents et montrent des souches particulièrement bien conservées, en position de vie, avec souvent encore leur écorce. Ils témoignent de la reconquête forestière post-glaciaire.

   On retrouve la calamagrostide argentée dans les éboulis calcaires assez fins et bien exposés. Elle est accompagnée de nombreuses autres espèces caractéristiques des pierriers. Selon les secteurs du département ce seront la centranthe à feuilles étroites (Centranthus angustifolius), le ptychotis saxifrage (Ptychotis saxifraga), l'endémique sabline cendrée (Arenaria cinerea), le rare galéopsis de Reuter (Galeopsis reuteri), le moloposperme du Péloponnèse (Molopospermum peloponnesiacum), la violette à feuilles pennées (Viola pinnata) ou encore la rhapontique à feuilles d'aunée (Rhaponticum heleniifolium) qui participeront à ces communautés.

   Dans les éboulis en plaquettes quelques plantes remarquables et localisées accompagnent le plus commun ail à fleurs de narcisse (Allium narcissiflorum) : gaillet des rochers (Galium saxosum), iberis du Mont Aurouze (Iberis aurosica), ancolie de Reuter (Aquilegia reuteri).
   C'est au sein des grandes casses, vastes pierriers calcaires qui soulignent de leur couleur blanche les pentes sommitales des montagnes méso-alpines, que s'épanouissent le pavot des Alpes (Papaver alpinum), l'adonis des Pyrénées (Adonis pyrenaica), ou la berce naine (Heracleum pumilum), autres joyaux de notre département, caractéristiques de ces pierriers mouvants

   En situation plutôt chaude, les pentes ébouleuses calcaires riches en éléments fins souvent secs et mobiles sont colonisées par la ligustique fausse férule (Coristospermum ferulaceum), la campanule des Alpes (Campanula alpestris) ou encore la scrophulaire des chiens (Scrophularia canina). La bérardie déborde dans la zone méso-alpine mais est, toutefois, plus répandue dans les massifs intra-alpins.

   Les grès d'Annot accueillent quant à eux des groupements plus composites. Cet ensemble de roches sédimentaires affleurent dans plusieurs secteurs du département. Ils sont constitués de grains de quartz, feldspath, micas, soudés par un ciment de calcite. La proportion de ces différents éléments et la chimie de leur altération permet la juxtaposition de plantes aimant les ions calcium ou les fuyant, déterminant ainsi des groupements "intermédiaires". La primevère à larges feuilles (Primula latifolia), l'orpin de Montereale ou le dryopteris écailleux (Dryopteris affinis) recherchent les grès pauvres en calcite quand le phagnalon d'Annot (Phagnalon rupestre subsp. annoticum) et la vesce du Mont Cusna (Vicia cusnae) semblent moins sensibles à la présence de calcaire.

   Dans les hautes vallées de l'Ubaye, du Bachelard ou du Verdon, les épisodes glaciaires successifs ont laissé de très grandes quantités de matériaux morainiques qui structurent le paysage. Bourrelets de névés, cordons morainiques, glaciers rocheux, et puis vastes cônes d'éboulis formés au pied des abrupts, autant de formations qui sont le siège de la colonisation par les espèces d'éboulis ou de rochers. Les glaciers rocheux fossiles (c'est à dire désertés par la glace) de quartzite du vallon Mary, aux gros blocs très arides, n'offrent que quelques taches d'airelles ou d'adénostyles à feuilles blanches (Adenostyles leucophylla). En condition plus humide, entre les gros blocs de roches cristallines, apparaissent plusieurs fougères indifférentes à la nature du substrat comme le cystopteris fragile (Cystopteris fragilis), le polystic en fer de lance (Polystichum lonchitis) et d'autres inféodées aux substrats acides comme le polypode du chêne (Gymnocarpium dryopteris) associées à quelques raretés comme l'athyrium alpestre (Athyrium distentifolium), le dryoptéris écailleux ou l'allosore crépu (Allosurus crispus). D'autres silicicoles strictes égayent ces pierriers comme le doronic de Clusius (Doronicum clusii), le grand orpin rose (Rhodiola rosea), ou encore la joubarbe d'Allioni (Sempervivum globiferum subsp. allionii), seule joubarbe à fleurs jaunes des Alpes sud-occidentales.    Enfin, on ne peut passer sous silence la belle achillée erba-rotta (Achillea erba-rotta) qui croît dans les blocs, les fentes de rochers acides, sans dédaigner les pelouses rocailleuses.
   Sur les éboulis à éléments moyens mais mobiles, une autre gamme de lithophytes apparaît : oseille à deux styles, benoîte rampante, achillée naine (Achillea nana), arabette des Alpes (Arabis alpina), toutes espèces offrant des systèmes souterrains spécialisés aptes à subir les mouvements. En conditions très froides et longuement enneigées, l'androsace des Alpes (Androsace alpina) cohabite avec la luzule rouge-brun (Luzula alpinopilosa) et la cardamine à feuilles de réséda (Cardamine resedifolia).

   Sur terrains carbonatés, au pied des grands reliefs, les pentes ébouleuses, moraines et glaciers rocheux portent une végétation plus diversifiée.
   Dans la partie supérieure des pierriers, aux expositions diverses mais préférentiellement sud se rencontre la bérardie, endémique des Alpes sud-occidentales. Au sein de ces biotopes à éléments fins et à faible mobilité se développent également le liondent des montagnes (Leontodon montanus), la renoncule de Séguier (Ranunculus seguieri), la crépide naine (Crepis pygmaea), qui enrichissent le groupement.
   En contrebas des précédents, les vastes éboulis mouvants, à pentes moyennes à fortes, à éléments plus grossiers, compris le plus souvent entre 5 et 20 cm, sont colonisés par le groupement à tabouret à feuilles rondes (Noccaea rotundifolia) souvent associé à la linaire des Alpes (Linaria alpina), au céraiste à larges feuilles (Cerastium latifolium) au gaillet à grosses graines (Galium megalospermum).
   C'est au pied d'éboulis stabilisés que se trouve parfois le saule faux-myrte (Salix breviserrata).

   Essentiellement en ubac mais sur des pentes nettement moins inclinées, à l'ombre des grandes parois, la fonte des névés permet la présence d'espèces aimant la fraîcheur et l'humidité. La valériane à feuilles rondes (Valeriana rotundifolia) et l'adenostyle des Alpes (Adenostyles alpina) contribuent toutes deux à stabiliser le substrat grâce à leur appareil souterrain ou aérien conséquent. D'autres espèces plus généralistes s'implantent alors comme l'aconit tue-Loup, l'astragale à fleurs pendantes (Astragalus penduliflorus) ou la dauphinelle douteuse (Delphinium dubium) qui marquent une évolution de ces zones ébouleuses vers des formations humides plus exubérantes.

   Autour de 3000 m d'altitude, le randonneur attentif parcourant les déserts minéraux de la Mortice, des hauts vallons de Cornacle, de Rubren ou du Chambeyron, peut observer un modelé original, qualifié de sols structurés. La formation de ces surfaces visiblement ordonnées, liées à des mouvements affectant les couches superficielles du sol soumises à des périodes de gel et de dégel de longue durée, constitue une des manifestations les plus spectaculaires du climat périglaciaire de haute altitude. Les schistes lustrés, calcschistes et flyschs favorisent ces phénomènes en raison de leur nature très gélive qui conduit à la production de plaquettes et de limons en abondance et grâce à leur grande capacité de rétention en eau.
   Sur les pentes, les éboulis sont agencés en sols striés, succession de grandes bandes de matériaux fins séparés par des bandes de cailloux. D'autres structures moins organisées se rencontrent également et forment des successions de bourrelets à convexité tourné vers l'aval. Ces éboulis striés ou cryoturbés sont colonisés par la saxifrage à deux fleurs (Saxifraga biflora) associé à la saxifrage à feuilles opposées et à la campanule du Mont Cenis (Campanula cenisia) quand les schistes sont plus riches en calcaire.
   Sur quelques replats, les formes sont encore plus surprenantes. Les cailloux sont disposés selon d'étranges tracés qui ressemblent à des nids d'abeilles et que l'on appelle des sols polygonaux. Si leur genèse est mal connue, on admet généralement qu'elle est due à l'alternance gel/dégel avec l'intervention de pipkrakes, aiguilles de glace qui soulevant le sol, "chassent" les cailloux à leur périphérie. Les sols polygonaux abritent donc des espèces capables d'endurer des mouvements de déchaussement par les cycles gel-dégel, d'arrachement par le vent mais aussi des périodes de très forte humidité voire de submersion temporaire suivies par des périodes de sécheresse. Le spécialiste qui colonise fréquemment ces sols est le céraiste à larges feuilles (Cerastium latifolium). La renoncule des glaciers (Ranunculus glacialis) qui bat des records d’altitude est également très fréquente grâce à l’efficacité de sa photosynthèse aux basses températures. Mais le cresson-des-chamois (Hornungia alpina) qui reste appliqué au sol, se plaît également au sein de ces milieux. Enfin, en bordure de lac, deux arctico-alpines tirent leur épingle du jeu, la véronique couchée (Veronica serpyllifolia subsp. humifusa) et la sagine de Linné (Sagina saginoides).

   À l'assaut des plus hauts sommets d'altitude, de remarquables saxicoles exploitent les fissures des parois.
   Dans l'étage alpin inférieur à moyen, sur calcaire, la végétation saxicole est représentée par la potentille des neiges (Potentilla nivalis), la saxifrage fausse-diapensie (Saxifraga diapensioides) et d'autres espèces comme l'athamante de Crète (Athamanta cretensis) ou la primevère marginée (Primula marginata).
   Plus haut, quelques espèces cespiteuses ou en rosette colonisent des arêtes rocailleuses comme les génépis et l'élégante valériane à feuilles de saule (Valeriana saliunca). Passée une certaine altitude, ce sont les plantes en coussinets qui dominent dans de rares niches rocheuses favorables comme l'androsace pubescente (Androsace pubescens), l'androsace helvétique (Androsace helvetica), le silene fausse-mousse (Silene acaulis subsp. bryoides) ou encore la saxifrage musquée (Saxifraga moschata).

   Sur les rochers de nature acide la flore est moins variée. La très rare androsace de Vandelli (Androsace vandellii) se plaît sur les affleurements plutôt secs aux côtés du génépi jaune (Artemisia umbelliformis) et d'espèces plus courantes comme la saxifrage fausse-mousse ou la saxifrage sillonnée (Saxifraga exarata). Quelques fissures hébergent la très rare fougère Woodsia alpina.

   Ce tour d'horizon des milieux rocailleux montre combien ces biotopes constituent une terre d'accueil des "joyaux" de la flore de notre département.

Laurence Foucaut

Zones humides

   Une roselière, les ceintures de carex qui bordent un lac de montagne, le cordon de forêt qui longe une rivière ou les berges enherbées d'un canal ... L’été, quand la végétation herbacée est grillée par le soleil, ces oasis de verdure marquent la présence d’une zone humide.

   Une plante a besoin de trois éléments éléments pour se développer :
- De la lumière, source d'énergie.
- Des éléments chimiques, oxygène, gaz carbonique, sels minéraux que la respiration et la photosynthèse utilisent comme réactifs du métabolisme (les réactions chimiques qui font vivre un organisme) ou assemblent en molécules constitutives des tissus d'une plante.
-Et de l’eau, aux multiples fonctions, réactif chimique, composé structurel, et qui assure la circulation des éléments chimiques. Si elle est omniprésente dans l'environnement (même l'air que nous respirons en contient), sa disponibilité pour la végétation est très variable selon la nature des sols, le climat, la topographie …

   En pleine eau, les conditions physico-chimiques (faible taux d'oxygène, turbidité bloquant la lumière, disponibilité variable en sels minéraux) rebutent plutôt la flore. Dans notre département seules la lentille d'eau et les utriculaires s'affranchissent d'un enracinement dans le sol. La végétation des zones humides est alors essentiellement fixée, organisée en communautés adaptées au même gradient hydrique et aux mêmes caractéristiques du sol, depuis l'eau libre jusqu'à la terre asséchée, conditions auxquelles s'ajoutent, pour définir la composition des cortèges floristiques rencontrés, les contraintes et opportunités plus générales liées au climat et à l'altitude.

   La Durance et ses affluents

   En plaine, le paysage est structuré par le cheminement de la Durance et de ses affluents au fond des vallées. Le lit "en tresses" de ces rivières présente des bancs de limon, de galets et de sable séparant des bras vifs, bras morts et trous d'eau. Les berges plus ou moins surélevées voient la transition avec la végétation climatique environnante.

   Dans le lit, la flore s'établit suivant la finesse des alluvions et l'humidité de celles-ci. Il en résulte une mosaïque de communautés végétales, régulièrement remaniée par les crues (ou les travaux publics). Cette hétérogénéité, spatiale et temporelle explique la très grande biodiversité de ces lits en tresses.

   Dans les eaux calmes des lônes, on observera des hydrophytes comme les potamots, la zannichellie dont seules émergent les inflorescences à la saison de la reproduction.

   Quand un atterrissement se crée, il est d'abord colonisé par des herbiers amphibies où l'on trouve le rubanier (Sparganium erectum), le cresson (Nasturtium officinale), Berula erecta, le mouron d'eau (Veronica anagallis-aquatica)... Ces premières plantes contribuent à piéger les particules solides et à ralentir le courant ce qui permet l'accroissement du dépôt. Les pieds dans l'eau s'y rencontrent les hélophytes comme le plantain d'eau (Alisma plantago-aquatica), des joncs et des prêles. Si le banc se stabilise, les pionnières sont remplacées par des espèces de plus grande taille : roseau, baldingère faux-roseau (Phalaris arundinacea), massettes (Typha spp.), iris faux acore, scirpes et souchets (Schoenoplectus spp., Bolboschoenus maritimus)... C’est ici que se complaisent, le plus souvent dans une roselière, la rare et protégée petite massette (Typha minima) et la marisque (Cladium mariscus), spectaculaire cypéracée de 2 m de haut très dispersée et en régression en France.

   À partir du lit mineur, la cote par rapport au lit conditionne la durée d'immersion en cas de crues et l'alimentation hydrique par la nappe phréatique.
   Sur les zones nettement exondées mais encore limoneuses, la richesse en matières nutritives du sol et le taux d'humidité important permettent le développement rapide d'une végétation herbacée à floraison tradive. Le bident tripartit en est l'une des espèces les plus représentatives.
   Les iscles riches en galets, dépôts très filtrants, subissent des assèchements estivaux très marqués qui limitent les annuelles estivales. Un rajeunissement régulier par les crues favorise les espèces pionnières, de friches comme la roquette, le mélilot blanc... ou d'éboulis comme Epilobium dodonaei, Erucastrum nasturtiifolium, le pavot cornu, …
   Ponctuellement peuvent se rencontrer quatre plantes remarquables. Le corisperme de France (Corispermum gallicum) s'implante sur des buttes mobiles sableuses sèches, quand le très discret polygale nain (Polygala exilis) ou la laîche faux-souchet (Carex pseudocyperus) préfèrent les berges limoneuses détrempées, et la petite centaurée de Favarger (Centaurium favargeri) un substrat finement caillouteux.

   Curiosité, il n'est pas rare d'observer fugacement des espèces improbables issues de graines apportées des montagnes (Gypsophila repens…) ou des jardins (Gaillardia, Hemerocallis, tomates…) qui arrivent à germer mais pas toujours à s'installer durablement.

   Entre deux crues se développe au pied des berges, ou sur les iscles les plus élevées, une ripisylve pionnière d'essences à bois tendre, saules d'abord, puis peupliers, aulnes, etc. Par leur croissance rapide et leur multiplication végétative importante, ils supplantent rapidement les pionnières herbacées. Dans ces bosquets et à leurs lisières s'installent des espèces buissonnantes ou arbustives de pleine lumière comme les ronces, la corroyère ou la bourdaine (Frangula alnus) parsemées de touffes de roseaux et calamagrostides.

   Sur les berges, la fréquence et la violence des crues (cette dernière en partie conditionnée par la végétation) diminue d'autant plus que l'on s'éloigne de la rivière. Les saules, peupliers noir et blanc, aulnes, qui ont plus de temps pour croître, ferment peu à peu le milieu. Incapables alors de se régénérer faute de lumière suffisante au sol, ils sont remplacés par des espèces "post-pionnières" à bois dur comme les érables champêtres, noisetiers, tilleul, merisiers, noyers, mais aussi, phénomène nouveau, platane. Vu la rapidité de son évolution, ce dernier est susceptible, s'il reste épargné par le chancre coloré, de devenir une espèce clef dans les futurs systèmes rivulaires de la région méditerranéenne occidentale.
   Le cortège herbacé, évolue parallèlement, lui aussi en fonction de la lumière disponible. Les premières héliophiles comme le brachypode de Phoenicie, Agrostis repens, l’aristoloche clématite, le gaillet aparine, régressent au profit d’autres espèces qui recherchent l’ombre comme le brachypode des bois, le lierre, le houblon, Chaerophyllum temulum, la consoude à bulbe, le gouet d’Italie (Arum italicum), la saponaire officinale… Dans une niche de ces ripisylves en Basse-Durance croît le rarissime gaillet fausse-garance (Galium rubioides).
   Puis apparaissent les espèces de la forêt climacique, chênes, ormeaux qui supplantent les espèces pionnières et post-pionnière… jusqu'à la prochaine crue majeure ou un défrichement.

   Les corridors fluviaux constituent aussi des voies de pénétrations privilégiées pour la flore exogène. La canne de Provence, le robinier, l’érable négundo, l’arbre à papillons (Buddleja davidii), la renouée du Japon (Reynoutria japonica), peuvent se développer en peuplements denses et devenir de véritables invasives en provoquant des changements considérables dans les communautés biologiques d’accueil. Le bident feuillé (Bidens frondosa), originaire d'Amérique, est ainsi en train d'éliminer l'espèce locale, le bident tripartit (Bidens tripartita).

   Rivières de montagne

   En montagne, le profil des rivières s'accentue. Les zones de dépôts de limons sont plus réduites et le cours, plus puissant, peut charrier des blocs volumineux. Ajoutées aux différences climatiques liées à l'altitude, ces particularités sélectionnent des groupements végétaux différents. Les iscles sont colonisés par l'épilobe de Fleischer. Sur les berges, les fourrés de saules sont dominés par le saule drapé (Salix eleagnos) souvent associé à la myricaire. L'aulne blanc remplace l'aulne glutineux et le frêne commun, le frêne du Midi.
   En bordure de quelques torrents tumultueux, la nappe d'eau toujours affleurante initie le développement d'une mégaphorbiaie abritant parfois le cirse des montagnes (Cirsium alsophilum) en compagnie d'une très robuste prêle (Equisetum hyemale).

   Lacs et marais

   Les berges des deux grands lacs de Serre-Ponçon et Sainte-Croix, mais aussi beaucoup de retenues artificielles, présentent un paysage bien différent. Les baisses et hausses de niveau, rapides, irrégulières et importantes, ne favorisent guère la végétation. La zone de "marnage" dénudée, qui les ceinture, témoigne de l'hostilité de ces conditions.
   Une exception notable est représentée par le secteur de confluence de la Maïre avec le lac de Sainte-Croix sur la commune de Moustiers-Sainte-Marie. En quelques dizaines d'années, cet espace aux berges en pente douce a été reconquise par une riche végétation alluviale. Le potamot pectiné et le myriophylle en épi s'associent à la naïade intermédiaire (Najas marina subsp. intermedia) pour constituer de beaux herbiers aquatiques. En bordure du lac, se trouve le rare fluteau lancéolé (Alisma lanceolatum). Les berges quant à elles sont investies par des gazons composés de vivaces et d'annuelles qui se succèdent en fonction de l'abaissement du niveau du lac au cours de l'été. On y rencontre notamment des peuplements à Eleocharis acicularis, Juncus articulatus, J. compressus en mélange avec les seules populations provençales de menthe des cerfs (Mentha cervina). La saulaie blanche recouvre ces formations tandis qu'en arrière prolifère le peuplier noir.

   Les lacs naturels, mares et marais, où la masse d'eau permanente stagne, présentent d'autres conditions. Par sa topographie et sa pluviométrie la vallée de Seyne-les-Alpes concentre quelques unes des plus belles "sagnes" (zones humides marécageuses) du département.

   Au débouché de suintements, dans des cuvettes issues du modelage glaciaire, se développent des bas-marais alcalins riches en laîches (Carex davalliana, C. hostiana, C. panicea) et linaigrette (Eriophorum latifolium). En leur sein, ponctuellement, se trouvent les seules stations départementales de choin ferrugineux (Schoenus ferrugineus) et plusieurs orchidées remarquables comme Anacamptis coriophora subsp. coriophora, Anacamptis palustris, Herminium monorchis tandis que la gentiane pneumonanthe apporte ici et là quelques notes bleu-azur. En périphérie de ces communautés, des prairies humides à Molinia caerulea ou à Deschampsia cespitosa hébergent deux espèces propres à la vallée : Dianthus hyssopifolius et Salix repens. Le sol de ces dépressions calcaires tend à s'acidifier avec le développement de l'humus si bien que les groupements alcalins et acides s'entremêlent souvent.

   La présence permanente d'eau stagnante ou très peu mobile prive d'oxygène (anaérobiose) les micro-organismes (bactéries et champignons) responsables de la décomposition et du recyclage de la matière organique. Et cette diminution du métabolisme est encore aggravée si les eaux sont froides et acides. Dans ces conditions extrêmes, la litière végétale ne se minéralise que très lentement et très partiellement. Elle s'accumule alors, progressivement, formant un dépôt de matière organique mal ou non décomposée : la tourbe.
   À Montclar, le Lac de Saint-Léger, comme un cas d'école, présente des auréoles concentriques de végétations caractéristiques des tourbières.
   À partir du centre, où les eaux sont trop profondes pour l'implantation de la végétation, à mesure que la profondeur diminue, se succèdent d'abord deux types de communautés à feuilles flottantes. La première est dominée par un potamot (Potamogeton natans) et la deuxième par le nénuphar blanc (Nymphaea alba). Puis apparaissent les communautés d'hélophytes. Le souchet des lacs (Schoenoplectus lacustris) forme de petits peuplements continuellement inondés juste en avant des tourbières de transition ou tremblants. Leur forme la plus aquatique et la plus remarquable est constituée de radeaux qui dérivent à la surface des eaux, formés par l'empilement de couches de nouvelles pousses, de racines mortes et de feuilles en décomposition. On y trouve des grandes laîches dont Carex lasiocarpa, des plantes rhizomateuses comme les remarquables trèfle d'eau (Menyanthes trifoliata) et laîche des bourbiers (Carex limosa) ainsi que des mousses brunes.
   Des touradons (grosses mottes) plus terrestres colonisent les zones où la nappe d’eau reste continuellement affleurante. C'est entre ceux-ci que poussent le rare Carex diandra et les seules Pedicularis palustris du département et ponctuellement de petites taches de roselières à massette à larges feuilles.
   En périphérie de ces tourbières de transition apparaissent les bas-marais évoqués précédemment, avec Carex davalliana et Schoenus ferrugineus soumis à des inondations saisonnières.
   Enfin, avec la diminution des périodes d’inondation, ce sont les prairies humides à molinie puis à canche cespiteuse qui forment les cordons les plus externes.

   Au-dessus de Seyne, la montagne de Dormillouse abrite des tourbières acides façonnées par des mousses particulières, les sphaignes. Très dynamiques, celles-ci développent de nombreuses nouvelles tiges, étouffant les plantes moins dynamiques, tandis que leur partie inférieure meure et s’accumule pour former la tourbe qui finit par combler le plan d'eau. Gorgée d’eau cette tourbe rend le milieux anoxique (sans oxygène). De plus, les sphaignes particulièrement adaptées à la captation de certains éléments minéraux, comme le calcium ou l’azote, appauvrissent le milieu et libèrent des produits acides, nocifs aux racines des autres plantes. Asphyxie, acidité, pauvreté minérale et concurrence sont des contraintes que peu de plantes vasculaires peuvent supporter. Celles qui résistent sont rares et ne se rencontrent presque que dans ces tourbières acides. Ce sont Carex rostrata, C. lasiocarpa, C. limosa, C. canescens et Menyanthes trifoliata mais aussi Carex buxbaumii et Trichophorum alpinum.
   Tant que les apports d'eau sont suffisants, par la pluie ou la nappe, la production et l'accumulation de tourbe élève la surface de la tourbière qui se bombe petit à petit. Si un aléa brise l'équilibre entre les besoins en eau et la disponibilité de celle-ci, la toubière devient inactive et s'assèche. Ses couches profondes se minéralisent progressivement formant un sol plus favorable aux autres végétaux. La végétation évolue alors vers des stades arbustifs puis arborés.
   Au sein de la tourbière du lac de l'Euve, des arbustes comme le rhododendron, la myrtille, l'airelle des marais et l'airelle du Mont-Ida se sont implantés sur les sphaignes asséchées en partie.
   Outre leur richesse floristique, les tourbières du Lac des Saint-Léger et de la montagne de Dormillouse présentent une très grande valeur paléobotanique en raison des pollens qui ont été piégés dans les matériaux tourbeux.

   L'étage alpin

   À l'étage alpin, les eaux froides et pauvres en éléments nutritifs des lacs d'altitude conditionnent d'autres groupements.
Sur substrats acides, les pièces d'eau hébergent des herbiers aquatiques enracinés associant le rubanier à feuilles étroites qui se repère à ses longues lanières flottantes, toutes "peignées dans le même sens, le potamot des Alpes, souvent teinté de rouge et dont les feuilles très longues sont le plus souvent submergées ou encore le callitriche des marais . La championne de l'altitude est une renoncule radicante (Ranunculus trichophyllus subsp. eradicatus), espèce arctico-alpine qui arrive à croître à plus de 3000 m. Fin et frêle, voire filiforme et pouvant dépasser un mètre de long, l’appareil végétatif de cette renoncule montre une adaptation importante aux fluctuations du niveau d’eau.
   En bordure de ces lacs, en général peu profonds, les pieds dans l'eau, la linaigrette de Scheuchzer forme souvent des nappes clairsemées de petites houppes blanches bien visibles comme au lac du Longet. À sa périphérie, dans les zones légèrement rehaussées, d'autres cypéracées prennent le relais comme la linaigrette à feuilles étroites, la laîche noire (Carex nigra), la laîche étoilée (C. echinata) et aussi des joncacées comme Juncus filiformis.
   Dans les eaux froides alcalines, le potamot filiforme (Stuckenia fiiliformis) présente des adaptations similaires à la renoncule radicante, laquelle peut aussi coloniser ces pièces d'eau.

   Tufs et travertins

   Au débouché de certaines sources d'eau se remarquent des formations encroûtantes moussues. En s'infiltrant dans un sol calcaire, l'eau de pluie, légèrement acidifiée par la présence de gaz carbonique, dissous la roche et se minéralise. À la résurgence de ces eaux un "rééquilibrage" se produit avec dégazage de gaz carbonique et précipitation du calcium qui cristallise sur les végétaux environnants. Le tuf ou travertin est formé par l'accumulation de restes végétaux encroûtés de calcaire.
   Ces formations, qui se rencontrent depuis les plaines jusqu'aux paysages subalpins, sont le plus souvent réduites (correspondant à une résurgence actuelle ou passée) mais forment aussi quelques rares et remarquables grandes étendues comme aux sources du Coulomp. D'immenses draperies végétales en cours de pétrification forment des surplombs surmontant des grottes et des cavités. Ces draperies sont constituées de bactéries incrustantes, d'algues filamenteuses, de mousses (bryophytes) spécialisés associant parfois une fougère, Adiantum capillus-veneris dans les parties subissant un écoulement permanent. Dans les zones à suintements intermittents, les végétaux supérieurs un peu plus nombreux se caractérisent par Agrostis stolonifera, Blackstonia perfoliata, Cirsium monspessulanum, Schoenus nigricans, Eupatorium cannabinum … Ces tuffières offrent un grand intérêt sur le plan biologique et au niveau paléobotanique car elles contribuent à la fossilisation de plusieurs milliers d'années de paléo-environnements.
   À l'étage alpin, l'encroûtement est limité par l'activité biologique très modérée et la faible minéralisation de l'eau. Sur des sols détrempés en permanence, les mousses, et plus rarement des hépatiques, sont les premières à s'installer. Secondairement quelques végétaux supérieurs s'implantent sur ce tapis bryophytique. On y rencontre Saxifraga aizoides, plus rarement Arabis soyeri subsp. subcoriacea mais aussi différentes grassettes dont la rare pinguiculaire d'Arvet-Touvet (Pinguicula arvetii) cantonnée à quelques vallons de la haute-Ubaye. Juste en aval, des groupements pionniers colonisent les bordures des cours d'eau. Ils sont dits arctico-altaïco-alpins car inféodés aux étages subalpins et alpins des Alpes et de l'Altaï, mais se rencontrent au niveau de la mer dans les régions arctiques. La présence de ces groupements est lié à des conditions locales froides et humides associées à un facteur mécanique de régénération qui élimine la concurrence. Ils sont ainsi cantonnés en bordure de méandres remaniés par des crues, au niveau de marais de pentes soumis à solifluxion et parfois en bordure de lacs où les phénomènes périglaciaires créent des champs de thufurs. Carex bicolor, C. microglochin, Juncus arcticus, Trichophorum pumilum sont les espèces phares qui composent ces formations relictuelles des périodes glaciaires.

   Par l'importance de l'eau dans le développement de la végétation, par l'empreinte dont elles marquent certains paysages, mais aussi par la diversité de la flore qu'elles hébergent, les zones humides sont un compartiment important de la biodiversité de notre département. C'est aussi, malheureusement, un des plus menacés, que ce soit par les aménagements, la pollution, le détournement d'usage et, probablement, les évolutions climatiques qui se dessinent ces dernières décennies.

Surfaces agricoles

   Traverser les Alpes-de-Haute-Provence, c’est longer des champs de céréales, de colza, de luzerne ou de sainfoin, c’est humer début juillet les enivrantes cultures de plantes à parfum, c’est voler une pomme, une poire ou quelques prunes dans les vergers si présents dans le Val de Durance, c’est saliver en pensant à la production des truffières, à l’huile que fournissent les oliveraies, c’est s’étonner des rares plantations de lin, de tulipes, de rosiers, c’est se laisser bercer par les ondulations des hautes herbes des prairies de fauche agitées par le vent…

   Il y a des millénaires, l’homme a commencé à développer des pratiques favorisant le développement de certaines espèces de plantes qui lui étaient utiles au détriment d’autres qui l’étaient moins. L'agriculture était née.

   Environ 20 % des Alpes-de-Haute-Provence sont occupés par des espaces agricoles (ce que l’on appelle la surface agricole utile, SAU).

   Les prairies occupent les deux tiers (60 %) de cette surface agricole utile. Les céréales et oléo-protéagineux (colza, tournesol) environ 20 %, les plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PaPAM), plus ou moins 7 %, les vignes et vergers, 3 %, et le maraîchage 1 %.

   Ces cultures sont inégalement réparties, chacune plus ou moins adaptée aux contraintes qu'imposent le climat et les reliefs.

- En haute montagne, au dessus de ± 1800 m, les reliefs très marqués limitent les possibilités de travail mécanique et le climat, rigoureux, réduit la période durant laquelle les plantes peuvent se développer, ce qui ne permet guère que les cultures fourragères herbacées.
- En montagne, si ± 90 % de la SAU est encore occupée par les prairies, quelques cultures annuelles et vergers trouvent leur place.
- En plaine la part des surfaces agricoles “en herbe” se réduit à moins de 50 %, les conditions permettant de nombreuses autres productions.

   Ces différentes cultures correspondent à deux "logiques" différentes.
   L'exploitation d'une composante "naturelle" de la végétation locale (le plus souvent un couvert herbacé fourrager).
   Le remplacement de la végétation naturelle par d’une plante qu’il sème. Celle-ci peut être annuelle (céréales, oléagineux, maraîchage…) ou vivace (vignes, vergers, plantes à parfum…) selon les conditions locales (climat, nature du sol, pente…).

   L’agriculteur dispose de quatre leviers pour favoriser la plante qu’il cultive et limiter la concurrence des adventices.
- La modification de la composition chimique du sol : ce sont les amendements qui apportent les sels minéraux nécessaires à la plante cultivée ou, plus rarement, visent à modifier l’acidité du sol.
- La modification du micro-climat local : l’irrigation ou le drainage, la culture sous serre ou les filets “anti-grêle” permettent de modifier l’hygrométrie, la température et de limiter l’impact de certains aléas.
- Le travail du sol et les techniques culturales : ils visent d’une part, en complément des amendements, à “créer” un sol favorable, d’autre part à limiter la concurrence des espèces indésirables.
- Enfin, les produits phytosanitaires aident à limiter la concurrence (herbicides), à lutter contre les ravageurs (insecticides) ou certaines maladies (fongicides).
   La nature des leviers activés et l'intensité avec laquelle ils le sont dépend de plusieurs facteurs, biologiques, climatiques ou topographiques pour les élément naturels, économiques ou sociaux pour la composante humaine.

   On qualifie d'adventices les plantes d'origine étrangère qui, introduites de manière fortuite, peuvent se développer au sein des parcelles cultivées.
   La composition du cortège d’adventices dépend essentiellement du climat et du type de culture. La dominante climatique définit la composition de la flore locale dont sont issues nombre d’adventices, le type de culture, annuelle ou pérenne, et les pratiques culturales "filtrent" les plantes adaptées au cycle de culture.

   Les prairies permanentes

   Selon les conditions écologiques, les prairies sont plus ou moins riches et denses, composées de cortèges différents d’espèces herbacées.
   Dans les secteurs mécanisables (relativement facilement accessibles et suffisamment plats pour être fauchés) et présentant les formations herbacées les plus productives, l’agriculteur va exploiter cette abondante ressource naturelle. Par la fauche il “exporte” régulièrement la biomasse produite ce qui, de plus, maintient ainsi le cycle évolutif à ce stade prairial. Au cours du temps, le "cycle" agricole sélectionnent les espèces les mieux adaptées à la période, au rythme et à la hauteur des fauches (ou du pâturage).
   Il a été montré que la diversité floristique est maximale pour un type médian associant fauche de printemps et pâturage tardif.
   Ces parcelles se présentent comme des étendues denses de hautes herbes (graminées essentiellement) qu’égayent, dès le mois de juin et jusqu’à la récolte, les floraisons de nombreuses dicotylédones. En dessous de 1500 m, les graminées sont dominées par le fromental élevé (Arrhenatherum elatius). Plus en altitude le cortège est dominé par l'avoine dorée (Trisetum flavescens).
   La richesse de la communauté limite l'implantation des espèces subspontanées car la concurrence est très forte et l'ensemble des micro-biotopes est occupé par une espèce déjà en place.
   Véritables réservoirs biologiques, on peut y compter plus de 60 espèces sur 25 m2, les prés de fauche sont très cependant vulnérables. À l’abandon d’abord, qui voit la reprise de l’évolution naturelle par l’embroussaillement puis la reconstitution de la forêt, mais aussi à une éventuelle évolution des pratiques. Une fumure azotée annuelle (par exemple, les lisiers des bergeries), même modérée, réduit rapidement de 20 à 50 % la diversité végétale initiale. De même, l’alternance de fauche et de pâturage peut, si elle est trop fréquente ou que la charge en bétail est trop importante, déstructurer le sol et la végétation.


   L’élevage ovin, débouché principal de la production des prés de fauche, est également à l’origine de la présence, autour des bergeries et dans les secteurs pâturés (prés de fauche, prairies naturelles, alpages) de deux végétations particulières.
   Naturellement, parce que certaines sont toxiques, piquantes ou peu appétentes, toutes les plantes ne sont pas consommées par le bétail. En cas de pâturage trop fréquent d’une parcelle, la surconsommation des seules "bonnes" espèces favorise le développement des "mauvaises" qui peuvent finir par former des îlots bien délimités au sein des pâtures. On reconnaîtra dans ces "refus" divers chardons, églantiers, groseilliers…
   Autour des bergeries et dans les zones de couchage (reposoirs, parcs de regroupement), la concentration des déjections sature le sol en nitrates, ce qui sélectionne des espèces nitrophiles. On observe alors des ourlets concentriques où se rencontrent suivant la teneur décroissante en nitrate : chénopode Bon-Henri (Blitum bonus-henricus), orties, râpette (Asperugo procumbens), rumex des Alpes (Rumex alpinus), vérâtre…

   Les cultures permanentes

   Ici, l’espèce que l’on veut récolter (ou qui lui sert de "support" dans le cas des truffes) est plantée ou semée pour une exploitation sur plusieurs années.

   Au début d’un cycle de culture, la préparation du sol crée un milieu dépourvu de toute végétation. Les premières adventices à apparaître sont des plantes dites "pionnières" spécialisées dans la conquête de milieux vierges. Pour se faire, elles ont en commun un certain nombre d’adaptations. Elles sont tolérantes au stress (un sol nu subit de plein fouet les aléas climatiques, chaleur, sécheresse estivale, irradiation ultraviolette des jours de plein soleil, orages, …), ont une croissance rapide, des graines de petite taille, ce qui facilite la dispersion, produites en plus ou moins grande quantité selon la ressource disponible (une "mauvaise" herbe est d'autant plus taquine que le champ est engraissé).

   Dans les cultures annuelles, ce sont surtout ces plantes pionnières que l’on rencontrera à chaque cycle de culture.

   Dans les cultures permanentes, en l’absence de travail du sol, les pionnières laissent progressivement la place à des espèces plus "sédentaires" dont les stratégies d’occupation du terrain privilégient le long terme. C’est ce que l’on observe dans les prairies "artificielles" (dites aussi temporaires, même si le terme est ambigu). Semées de graminées (avoine, fétuque) ou de légumineuses (sainfoin, luzerne, trèfle…), elles restent en place moins de cinq ans.
   Une fois semées, elles ne nécessitent pas de travail du sol et sont relativement peu traitées ce qui permet une certaine diversité. La première année, l’espèce semée lève en compagnie d'espèces pionnières dont les graines ont été apportées par le vent, le ruissellement, les animaux qui fréquentent la parcelle. Mauve sylvestre, bourse-à-Pasteur, petite luzerne (Medicago minima), géranium à feuilles molles (Geranium molle), pissenlits, crépide de Nimes (Crepis sancta, petite composée jaune qui peut colorer la totalité des parcelles aux heures les plus ensoleillées en avril), sont parmi les plus fréquentes. Les années suivantes, progressivement, des plantes vivaces, herbacées d'abord (trèfles (Trifolium repens, T. pratense), plantains) puis ligneuses parfois (peupliers, cornouillers) supplantent plus ou moins les annuelles pionnières.

   Autres éléments des paysages, les vignes et oliveraies sur les coteaux autour de Manosque, les vergers de pommiers du val de Durance, les champs de lavandin du plateau de Valensole, ou encore les truffières, dans toute la moitié sud du département, représentent la majorité des cultures permanentes.
   Ces cultures ont en commun d’être entretenues par un travail mécanique relativement léger (tonte, sarclage superficiel)… mais aussi, pour l'agriculture "traditionnelle", de nombreux traitements impactant fortement, sur les parcelles traitées, mais aussi dans les écosystèmes alentours (diffusion par infiltration, aérosols, ruisellement…), les cycles naturels et la biodiversité,.

   Dans les parcelles peu traitées, la flore qui tente de coloniser ces terrains doit être adaptée au type d’entretien mis en œuvre.
   En cas de tonte, par exemple dans les vergers, nous sommes dans le schéma "classique" d’un sol nu qui évoluerait naturellement en passant par des stades pelouse, broussailles puis forêt. La tonte maintient cette évolution au stade pelouse.
   La végétation est alors essentiellement composée de plantes herbacées, basses ou à rosette de feuilles basales (sélectionnées par la tonte régulière).
   Dans les parcelles sarclées se maintiennent les plantes "géophytes" dont les bulbes sont enfouis suffisamment profondément, les annuelles qui accomplissent leur cycle entre deux sarclages, mais aussi des plantes à fort pouvoir de régénération à partir de leur rhizome fragmenté par le travail du sol.

   Les cultures annuelles

   Ce sont les productions dont le cycle est inférieur à quatre saisons.
   Les oléagineux sont des végétaux cultivés pour leurs graines riches en huile, les protéagineux pour leur richesse en protéine et les oléoprotéagineux pour leur teneur en ces deux composants. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, il s’agit essentiellement du colza et du tournesol (±4.000 ha : 2,5 % de la SAU) et depuis quelques années du pois (un peu moins de 1.000 ha en 2015).
   S’ils ne représentent qu’une faible partie de la surface agricole, il est difficile de ne pas remarquer au début du printemps les éclatantes floraisons du colza, quand le reste de la végétation semble à peine s’éveiller ou, en fin d’été, les champs de tournesol qui sont parmi les derniers à être récoltés.
   Ces cultures présentent des cortèges d’adventices en général pauvres, et assez différents suivant qu’il s’agit de cultures d’hiver ou de cultures de printemps.

   Pour les premières, comme le colza, le semis se fait à l’automne, la plante développant ses feuilles pendant l’hiver où la concurrence est faible. Ces feuilles en place, très couvrantes dans le cas du colza, inhibent, en captant la lumière, le développement des adventices printanières. Couplé à un travail du sol après le semis et des traitements herbicides, ce mécanisme explique la pauvreté de ces cultures en adventices. Seules quelques espèces précoces très ubiquistes, capselle, géraniums, euphorbe réveil-matin, fausse-roquette, arrivent à se développer.
   Les cultures de printemps - pois, tournesol - sont semées en février/mars. Leur période de développement correspond alors à celle de la flore printanière et estivale qui représente alors une forte concurrence. Selon la nature du sol, le climat, la disponibilité en eau et en matière nutritives s’observent différents cortèges (les phytosociologues y distinguent une petite dizaine d’alliances) de plantes adventices communes : véronique des champs, euphorbes, vesces et luzernes, chardons, bourse-à-Pasteur, fausse-roquette, géranium et mauve, bromes, avoines.

   Céréales et messicoles

   Au sein des adventices, les messicoles, inféodées aux moissons sont un cas un peu particulier.
   Les céréales occupent 15 % de la surface agricole du département, mais représentent environ la moitié des cultures si l’on ne tient pas compte des prairies et surfaces toujours en herbe. Ce sont principalement le blé dur, puis l’orge et le blé tendre.

   Dans le sens le plus restrictif, les messicoles sont des annuelles dont le cycle est comparable à celui des céréales. Dans le sens du “Plan national d’action en faveur des messicoles”, initié par le ministère de l’Environnement et établi par le Muséum national d'histoire naturelle, on y adjoint quelques géophytes assez strictement inféodées aux cultures de céréales.
   On trouvera dans le Plan National, disponible sur le net, une présentation bien plus complète des messicoles, de leur état de conservation et des enjeux de leur préservation. Dans ce sens "large", la communauté des messicoles compte environ cent trente espèces dont une centaine présente dans les Alpes-de-Haute-Provence.

   Ces plantes ont en commun d’être des plantes pionnières des milieux ouverts, régulièrement perturbés, et qui craignent la concurrence. Elles ont développé une stratégie adaptative qui consiste à assurer sa survie par sa descendance ou sa multiplication végétative aux dépens, en quelque sorte, de sa propre survie.

   Une trentaine d’espèces sont strictement inféodées à leurs céréales. Ce sont les plus intéressantes, mais aussi les plus vulnérables. Elles n'ont pas de "réservoir" naturel, leur spécialisation ou la migration des cultures au fil de l'histoire les ayant coupées de leurs habitats primaires. Si elles sont éliminées de leurs cultures hôtes ou que ces cultures sont abandonnées, ces espèces disparaissent de la flore locale.
   Cette vulnérabilité leur confère une forte valeur patrimoniale, d’autant plus élevée chez nous que la région PACA est une des plus riches en plantes messicoles et, dans un contexte général de régression, apparaît comme un de leurs derniers refuges avant leur disparition de la flore de France.
   Bien qu'une certaine prise de conscience ait débouché sur la mise en place de quelques textes et mesures de préservation, ceux-ci ne semblent malheureusement pas à la hauteur de l'enjeu comme en témoigne la diminution, voire l'effondrement, des populations de messicoles ces dernières années.

Espaces urbanisés

   Mais quelle est cette impertinente qui pointe le bout de son nez entre deux pavés de ma calade ?

   Au premier coup d’œil, la maigre végétation que l’on découvre quand on traverse les villages du département semble bien banale. Pourtant, à plusieurs titres, cette flore ne manque pas d'intérêt.
   Les zones urbaines et leur périphérie présentent de multiples ensembles de conditions écologiques très particulières qui définissent autant de "niches écologiques" originales que vont coloniser de plus ou moins nombreuses espèces. Qui n’a pas remarqué les orpins qui poussent entre les tuiles d’un toit, le figuier tortueux qui s’ancre entre deux pierres d’un vieux mur, ou le cresson qui recouvre un lavoir oublié ?

   Dans les espaces bâtis, d’une manière générale, les plantes doivent faire face à trois problèmes majeurs.
- Le "sol" est le plus souvent de mauvaise qualité et son accès rendu difficile par le revêtement de la voirie.
- Les réseaux (adduction, eaux usées, eaux pluviales), captent et canalisent les eaux avant qu’elles ne s'infiltrent dans le sol.
- Enfin, le piétinement et des traitements réguliers contrôlent plus ou moins le développement des “mauvaises herbes”.

   Mais ces contraintes s'imposent avec une intensité très variable suivant les situations.
   Les espaces verts, parcs et jardins sont plus ou moins accueillants selon leur entretien. Le sol est totalement remanié et les espèces sauvages impitoyablement traquées dans les parterres et jardinières "fleuris", tandis que quelque parc ou jardin oublié peut présenter des conditions semi-naturelles plus propices à la flore naturelle.
   Les environs immédiats ne sont guère plus accueillants. Si elles sont en partie différentes, les contraintes n’en sont pas moins fortes.
   L’extension de l’urbanisation, l’aménagement de zones artisanales ou commerciales et d’infrastructures (routes et autoroutes, réseaux divers) mobilisent régulièrement des matériaux, exportant la terre végétale ou l’enfouissant sous des gravats ou un revêtement de voirie.
   Alentour, les terres agricoles, quand elles ne servent pas de dépotoir à l’origine de pollutions diverses, sont progressivement abandonnées laissant des sols nus, plus ou moins stériles et pollués par les nitrates et pesticides.
   Plus rarement, les aménagements sont plus favorables à la flore locale. C’est par exemple, en région méditerranéenne, le défrichage sous les lignes à très haute tension qui maintient des milieux ouverts, ou, si leur entretien n’est pas trop drastique et fréquent, les fontaines et lavoirs, ou les réseaux de fossés qui créent de micro-zones humides

   Les plantes qui colonisent ces espaces ont en commun leurs adaptations aux contraintes évoquées.

   Dans les zones bâties les plus régulièrement entretenues, seules des plantes annuelles peuvent espérer arriver à germer, croître, fleurir et produire des graines (et donc (re)germer l’année suivante) entre deux traitements (mécanique, chimique ou thermique) visant à les éradiquer. La majorité des espèces que l’on peut y croiser (pâturins, bromes, mouron blanc) se recrutent alors chez ces "thérophytesDéfinition non trouvée..." (annuelles, de théros, la belle saison et phytos, la plante). Les quelques plantes vivaces qui se maintiennent (crépides, ortie) sont douées d’une bonne capacité de multiplication végétative (la capacité de « repartir » du pied ou d’un fragment de racine).

   Dans les murs ou sur les toits se retrouveront des espèces des parois et rocailles (orpin, pariétaire, cymbalaire…) ; dans les lavoirs ou au bord des fossés des plantes des sources et suintements (cardamine, cresson, capillaire,…).

   L’entretien des talus et ronds-points herbacés se résume en général à des coupes régulières (par tondeuse, débroussailleuse, épareuse) favorisant les plantes vivaces dont les feuilles sont plaquées au sol et échappent ainsi à la coupe (chicorée, arabette, pissenlit…). Ces espèces, de plus, peuvent inhiber par différents mécanismes la germination des annuelles, limitant ainsi la concurrence. Seules quelques plantes précoces (muscaris, tulipes, véroniques, stellaire) arrivent à boucler leur cycle végétatif avant le développement des rosettes de feuilles ou la première tonte de printemps.

   Dans les espaces en déshérence les contraintes sont très variables : remaniement plus ou moins fréquent et important du sol (avec des conséquences sur la circulation des eaux, la richesse en matières organique, la granulométrie…), dépôts sauvages, pollutions diverses. Selon la nature de ces aléas, des cortèges floristiques, de plus en plus pauvres en espèces quand augmente la pression anthropique, survivent jusqu’à l’aménagement de la zone ou, plus rarement, sa recolonisation par la végétation naturelle locale. Dans les friches se développent des espèces nitrophiles (qui recherchent des sols très riches en nitrates) : chénopodes, amarantes, cirse ; sur les remblais des annuelles comme les coquelicots et le pet-d’âne…

   Aux plantes de la flore locale, "filtrées" par les contraintes anthropiques s'ajoutent des espèces "exogènes" introduites accidentellement ou volontairement (pour les horticoles).

   Dans deux quartiers pavillonnaires de Manosque se maintiennent les rares tulipe "radis", Tulipa clusiana DC., et tulipe sylvestre, Tulipa sylvestris L. subsp. sylvestris. Leur origine, comme la date de leur introduction, n’est que partiellement connue, probablement latine ou médiévale. Au XVIIIe siècle une mode folle voit un incroyable engouement pour les tulipes à l’origine d’une des premières "bulles spéculatives" de l’histoire (le bulbe d’une espèce originale pouvait atteindre - en valeur actuelle - plusieurs dizaines de milliers d’euros). Les tulipes sont alors largement plantées aux abords des demeures bourgeoises. Les tulipes de Manosque sont un vestige qui témoigne de cette longue et étrange histoire.
   Le sisymbre à corne (Sisymbrium polyceratium) est une crucifère connue depuis l’Antiquité pour son intérêt médicinal (il est cité par Dioscoride dans son Materia medicae). Adventice plus ou moins naturalisé dans les cultures, il a trouvé refuge dans les espaces urbains avec le développement de l’agriculture intensive. Mais ce refuge se révèle précaire. Encore assez régulièrement observé jusque dans les années 1950, il est en voie de disparition (il est inscrit comme « en danger d’extinction » dans la liste rouge de la flore menacée). Depuis 1990, il n’a été observé qu’à une reprise dans notre département à Claret.
   L'ambroisie, redoutable pour les propriétés allergisantes de son pollen, "arrivée" dans le département au début des années 2000, a depuis colonisé la plus grande partie du département.

   Au-delà de quelques espèces particulières (pour leur statut, leur exhubérance, leurs propriétés), c'est en fait une liste sans fin d’espèces exogènes que l'on peut dresser. Le devenir de "étrangères" est très variable.

   Certaines sont totalement dépendantes de l’homme pour leur germination ou leur reproduction sous nos latitudes. On ne peut alors les rencontrer que plantées dans les parterres et jardins. Le plaqueminier, le savonnier ou le tulipier, pour ne citer que des arbres, sont dans ce cas.
   D’autres arrivent à germer seules, mais difficilement et ne se maintiennent pas. La queue-de-lièvre ou gros-minet (Lagurus ovatus L.) est une ravissante graminée des sols sableux du littoral dont elle ne s’éloigne naturellement que peu et à basse altitude. Elle a pourtant été observée à Moustiers-Sainte-Marie au milieu des gravillons (milieu bien drainé pouvant rappeler un terrain sableux) du bord de la route qui mène dans le Var (et son littoral). Cette présence fugace, elle n’a été observée qu’une année, correspond probablement à une introduction accidentelle et sans avenir.

   Quelques espèces des contrées lointaines arrivent à se naturaliser. Capables de se reproduire et de se développer, elles finissent par s'intégrer à la flore locale. Les roses-trémières qui nous semblent si familières sont d’origine orientale, introduites en Europe il y a si longtemps que l’on ne sait pas exactement quand, XIIe ou XVIe siècle … Introduite d’Amérique-du-Nord vers 1650, la vergerette du Canada est maintenant une des plantes les plus communes dans les friches péri-urbaines.

   Enfin un cas de figure voit l’expansion incontrôlable de l’espèce introduite (on parle alors de plante invasive, ou, suivant le terme anglais, de peste végétale). Dans son habitat d’origine, différents mécanismes complexes de régulation - inhibition, concurrence, "rétroactions" négatives - limitent l’expansion d’une plante. Mais si celle-ci se retrouve dans un environnement qui lui est totalement étranger, sans ses mécanismes régulateurs elle peut se développer aux dépens de la flore locale.
   L’arbre aux papillons (Buddleya davidii) se rencontre de plus en plus fréquemment dans la Durance et la Bléone au détriment de la flore locale. Le buisson-ardent (Pyracantha spp.), aussi envahissant dans le lit des rivières, se révèle depuis peu être également une peste dans les friches agricoles. L’ailante (Ailanthus altissima), capable d’expansion rapide de proche en proche par son système racinaire traçant, grignote les oliveraies et autres vergers dans le sud du département.

   On considère que moins de 1% des espèces importées se révèlent invasives. Mais, compte tenu de la généralisation des voyages et des échanges commerciaux intercontinentaux, vecteurs volontaires ou involontaires d’introductions d’espèces nouvelles, les plantes invasives constituent une menace constante et importante pour la flore locale.

En savoir plus sur les plantes invasives

   Si les villes et villages présentent une flore assez réduite, celle-ci contient cependant quelques espèces remarquables qui méritent que l’on y prête attention, que ce soit pour leur valeur patrimoniale, comme "belles inconnues" ou pour les menaces potentielles qu’elles représentent.
   On peut également considérer la richesse de cette flore comme une sorte d’indicateur biologique du développement durable.
   Plusieurs programmes permettent à tout un chacun de s’impliquer dans des inventaires ou le suivi de la flore des communes. C’est par exemple les « Inventaires citoyens de la biodiversité » coordonnés par le Parc naturel régional du Verdon, ou le programme national « Sauvages de ma rue » piloté par le Muséum national d’histoire naturelle.
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