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Botanique et botanistes
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Botanique et botanistes

Gens de fleurettes

De l'Antiquité au Moyen-Âge

   Les premiers écrits considérés comme les racines de la botanique sont à chercher chez les Grecs et les Romains.
   Aristote (384-322 av. J.-C.) est le premier à distinguer l’inanimé du vivant, qu’il hiérarchise, considérant les végétaux comme les plus primitifs des organismes.
   Théophraste (370-285 av. J.-C.), son disciple, avec De Historia Plantarum, puis Dioscoride (1er siècle), médecin grec dans l’armée romaine (De materia medica) et Pline l’ancien (23-79) avec Historia naturalis commencent à lister des végétaux.
   Mais seules quelques plantes dont l’homme fait usage (alimentation, fourrage, habillement, pharmacologie, manufacture) ou qui peuvent lui être nuisibles (toxiques, "pestes" entravant les activités…) sont décrites, plus par leurs propriétés que par leur morphologie, un nom "d’usage" pouvant regrouper des plantes différentes.

La luzerne dans Historia Naturalis de Pline l'Ancien :
"Medica externa etiam Graeciae est, ut a Medis advecta per bella Persarum, quae Darius intulit, sed vel in primis dicenda tanta dos est cum ex uno satu amplius quam tricenis annis duret. similis est trifolio caule foliisque, geniculata. quidquid in caule adsurgit, folia contrahuntur.
La luzerne est étrangère même à la Grèce, où elle a été importée lors des guerres des Perses, dans l'invasion faite par l'ordre de Darius ; mais il faut en parler peut-être au premier rang, tant la qualité en est grande : un seul semis dure plus de trente ans. Elle ressemble au trèfle ; la tige et les feuilles sont articulées ; plus elle monte en tige, plus les feuilles se rétrécissent. (Traduction de Littré)"

   Au Moyen-âge, cette ébauche de la botanique stagne, voire régresse. Sous le poids de l’Église, les sciences naturelles ne sont pas en odeur de sainteté. Les naturalistes de l’époque ont toujours une vision anthropocentrique et, pour la plupart, se contentent de compiler et compléter les listes de plantes des ouvrages antiques, mais avec deux biais qui rendent plus confuses les choses. D’une part la “mode” est à la stylisation à outrance des illustrations, ce qui éloigne celles-ci de la morphologie “réelle” des plantes et, d’autre part, on nomme de plus en plus de plantes de la même manière en attribuant aux plantes septentrionales des noms utilisés par les Grecs ou les Romains pour des plantes méditerranéennes.

De la Renaissance au début du XVIIIe siècle

   Tout change à la Renaissance.
- L’invention de l’imprimerie par Guttenberg en 1450 permet la diffusion des traités anciens et des connaissances nouvelles.
- Les grands voyages d’exploration et la découverte de "nouveaux mondes" se traduisent par d’importantes "moissons". Alors que moins de 1000 plantes sont reconnues au Moyen-âge, environ 18.000 sont décrites à la fin du XVIIe siècle.
- Les premières universités de médecine sont créées, avec une chaire de botanique et souvent un jardin botanique attenant.
- Les esprits éclairés commencent à s’affranchir de l’obscurantisme et du fixisme religieux.
   Tous ces éléments concourent à une vision nouvelle de la nature, moins anthropocentrique, et à une approche plus scientifique de son étude.

   Rapidement, cette effervescence révèle quelques problèmes.

   Chaque auteur nomme les plantes à sa guise, n’hésitant pas, de plus, à renommer celles déjà décrites. Les dénominations sont le plus souvent des polynomes qui s’allongent ou se modifient chaque fois qu’une nouvelle espèce, proche d’une déjà décrite, est reconnue.
L'augmentation du nombre de végétaux découverts impose très vite, pour des raisons pratiques (de communication, de présentation, de mémorisation) d'inventer une classification.
   Ces problèmes, qui freinent l’essor de la botanique, vont être progressivement résolus par la mise en place d’une démarche scientifique rigoureuse.

   Au début du XVIIe siècle, Gaspard Bauhin (1560-1624), botaniste suisse, établit des listes de synonymes et propose ses propres noms, le plus souvent courts, constitués de deux termes, ce qui peut être considéré comme une préfiguration du système de dénomination actuel formalisé par Carl Linné au XVIIIe siècle.

   Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) introduit le concept de genre en 1700 dans Institutiones rei herbariae où il classe 10.000 plantes dans 700 genres répartis dans 22 classes.

   John Ray (1627-1705) invente le concept d’espèce sur une base de ressemblance morphologique, et utilise ce concept dans sa monumentale flore Historia Plantarum (trois tomes de 1686 à 1704) où sont présentées près de 10.000 espèces européennes.

   Pierre Magnol (1638-1715) définit le concept de famille dans Prodromus historiae generalis plantarum in qua familiae per tabulas disponuntur en 1689.

   C’est à la même époque qu’est mise en évidence la reproduction sexuée des plantes par Camerarius (1665-1721), botaniste et médecin allemand. Ses travaux, complétés par ceux de Sébastien Vaillant (1669-1722), disciple de Tournefort et directeur des Jardins du Roi, qui identifie les organes sexuels, serviront de base à la classification sexuelle de C. Linné.

   Dans les Alpes-de-Haute-Provence, c’est de la fin de cette période que datent les premières indications précises d’herborisation dans le département.
   Pierre-Joseph Garidel (1658-1737), médecin et botaniste à Aix-en-Provence, ami de Tournefort (également aixois de naissance), publie en 1715 une Histoire des plantes qui naissent aux environs d'Aix-en-Provence et dans plusieurs autres endroits de la Provence. Cet ouvrage, que l’on peut consulter à la bibliothèque de Riez, fait référence, mais de manière un peu brouillonne, à des herborisations menées aux alentours de cette commune. Carl Linné a dédié à P.-J. Garidel une plante des moissons, autrefois connue dans les Alpes-de-Haute-Provence, mais dont elle a disparu : Garidella nigellastrum L.

   Au début du XVIIIe siècle, le foisonnement d’idées a bien cerné les problèmes et questions qui se posent et commencé, mais en ordre un peu dispersé, à y apporter des réponses.
   C'est à la fin du XVIIIe, avec l'adoption d'un langage commun, la nomenclature binomiale de Linné, et de principes taxonomiques consensuels, la classification naturelle de Jussieu, que la botanique va finir de se structurer.

La deuxième moitié du XVIIIe siècle

   En 1753, dans Species plantarum Carl von Linné renomme toutes les plantes connues à l’époque suivant la nomenclature binomiale qu’il a mise au point.
Celle-ci consiste à nommer une plante par deux termes, un nom de genre et un épithète spécifique, suivis du nom de l’auteur de ce nom et de l’année de la publication. Ainsi, par exemple, le coquelicot est-il nommé Papaver rhoeas L. 1753Papaver est le nom du genre, rhoeas l'épithète spécifique, L. l'abréviation du nom du découvreur (ici L. pour Linné) et 1753 la date de la publication de la description de cette espèce.

   Parallèlement à cette normalisation de la dénomination, Linné propose de classer les plantes suivant le nombre d’étamines et de carpelles (les loges de l’ovaire). Ce système sexuel, s'il est simple et efficace pour identifier une plante, réunit des plantes que le bon sens a du mal à considérer comme proches les unes des autres ou, au contraire, sépare des plantes morphologiquement semblables. Ainsi, par exemple, les graminées sont réparties dans les deux classes des Triandra - avec les Valérianacées - et des Hexandria - avec les Polygonacées. Les Labiées, reconnues dès le XVIe siècle comme un ensemble naturel se retrouvent séparées dans plusieurs des classes.

   En France, tout au long du XVIIIe siècle, se développe et s’affine le concept de classification naturelle. Bernard Jussieu (1699-1777), puis son neveu Antoine-Laurent (1748-1836), par leurs fonctions au Muséum, diffusent ce concept dont la réalité sera expliquée au XIXe siècle avec les travaux de A. Wallace et C. Darwin sur l’évolution et de G. Mendel sur la transmission des caractères.
   En fait, ces deux approches, sexuelle et naturelle, sont pertinentes, mais pour des objets différents. Elles consacrent la scission des classifications anciennes en deux branches, d’une part un système d’identification, utilisant des critères morphologiques simples (comme le nombre d’étamines et de carpelles), mais sans relations naturelles entre eux, et d’autre part une classification qui, de plus en plus, s’attache à prendre en compte les relations de proximité entre les espèces.
   Mais, avant que les choses ne se décantent, les botanistes français sont tiraillés. Si tous ou presque reconnaissent l’utilité et la simplicité de la nomenclature binomiale, certains se refusent à l’utiliser pour ne pas cautionner, indirectement, la classification sexuelle que réfute A.-L. Jussieu.

   Les données de cette époque dont nous disposons pour les Alpes-de-Haute-Provence illustrent bien cette période de transition.
   Louis Gérard, médecin et botaniste provençal, né à Entrecasteaux en 1733, publie en 1761 une remarquable Flora gallo-provincialis. C’est le premier ouvrage à traiter de la flore de Provence selon les conceptions modernes de la botanique… à une réserve près. Si sa rencontre avec Bernard Jussieu le convainc d’utiliser la classification naturelle, elle le dissuade dans le même temps d’adopter la nomenclature binomiale de Linné. Si la dizaine d’observations de L. Gérard dont nous avons connaissance pour les Alpes-de-Haute-Provence restent, sa flore de Provence, malgré ses incontestables qualités, est assimilée aux ouvrages pré-linnéens et sombre vite dans l’oubli.
   Nous mentionnerons également, comme un des premiers acteurs de la connaissance de la flore des Alpes-de-Haute-Provence (un peu plus de 350 observations, essentiellement sur la montagne de Lure), Michel Darluc, médecin et botaniste de Grimaud. Outre un amusant Traité des eaux minérales de Gréoulx en Provence, il publie en 3 tomes, entre 1782 et 1786 (le dernier à titre posthume) une Histoire naturelle de la Provence, contenant ce qu’il y a de plus remarquable dans les règnes végétal, minéral, animal, et la partie géoponique… tout un programme.

XIXe et XXe siècle

Le XIXe siècle

   Au début du XIXe, les concepts et outils botaniques sont en place : nomenclature, clés dichotomiques pour l’identification, taxonomie (terme donné par De Candolle en 1813 à la science de la classification).
   Flora Gallica de Augustin-Pyramus de Candolle en 1828 ou la Flore de France de Grenier et Godron, 1848-1856, premières flores conçues suivant ces principes modernes, permettent à tous les botanistes, pratiquement pour la première fois, d’utiliser un référentiel commun. Tout un chacun, ou presque, peut alors y aller de son herborisation.
De nombreuses sociétés savantes voient le jour (la Société linnéenne de Lyon est créée en 1822, la Société botanique de France en 1854). Leurs activités de découverte, directement (les voyages d’étude de leurs membres) ou indirectement (par tout un réseau de correspondants) et l’enregistrement des données (par la publication et l’archivage de celles-ci) contribuent grandement à une meilleure connaissance du patrimoine naturel.

   Dans les Alpes-de-Haute-Provence, alors pourtant que le département connaît une grave crise sociale, économique et démographique (en grande partie pour des raisons environnementales), des milliers d’observations, de nombreux herbiers (pour des milliers de plantes récoltées et conservées ainsi), des catalogues ou comptes-rendus d’excursions sont le fruit de la prospection du département par des botanistes reconnus, de simples passionnés, des amateurs éclairés ou encore des collecteurs professionnels.

   Avant 1850, les principaux apports à la connaissance de la flore du département sont dus à Simon-Jude Honnorat.
   Né en 1783 au Haut-Villard, un hameau reculé d’Allos, il effectue ses études de médecine à Grenoble, où il suit les enseignements botaniques de Dominique Villars, puis à Paris où il conforte sa passion naturaliste en suivant les cours dominicaux de Antoine-Laurent Jussieu, directeur du Muséum national d’histoire naturelle et titulaire de la chaire de botanique à la faculté de Médecine.
   C’est donc un médecin doté d’un solide bagage naturaliste qui s’installe à Digne en 1809 où il résidera jusqu’à son décès en 1853.
   À côté de sa pratique professionnelle, il se consacre à ses deux autres passions, les sciences naturelles et la rédaction du Dictionnaire de la langue d’Oc particulièrement riche, ceci expliquant cela, en vocabulaire naturaliste.
   En 1832 il a fini la rédaction d’un Catalogue des Plantes de la Provence dans lequel il recense près de 2500 espèces dont un grande partie observées dans les Alpes-de-Haute-Provence. Il est également l’auteur d’autres publications sur la flore, mais aussi l’entomologie, l’ornithologie ou la paléontologie.
   Son herbier général, monument de 20-25 énormes volumes, est malheureusement dispersé après sa mort. Mais S.-J. Honnorat faisait aussi des herbiers propres à des localités précises, et c’est ainsi que nous pouvons toujours consulter son Herbier de Faillefeu (commune de Prads-Haute-Bléone) au Musée Gassendi de Digne-les-Bains.

   La seconde moitié du XIXe propose un aréopage de botanistes ou récolteurs aux parcours et profils divers, malheureusement trop nombreux pour être tous nommés.

   On pourra y croiser Ludovic Legré (1838-1904), avocat à Aix-en-Provence… et par ailleurs excellent botaniste. Ami de F. Mistral et T. Aubanel, il participe à la préparation de l’herbier du Museon Arlaten et publie plusieurs ouvrages sur La botanique en Provence au XVIe siècle.
   Dans les Alpes-de-Haute-Provence, il herborise autour d’Allos, où il découvre une épervière rupicole que lui dédie Casimir Arvet-Touvet, Hieracium legraeanum Arv.-Touv.. À l’ouest de la Durance il découvre un sorbier hybride, fertile et micro endémique de la montagne de Lure [Sorbus aria (L.) Crantz x S. aucuparia L.] qui lui a été dédié récemment (2008) sous le nom de Sorbus legrei Cornier.

   Émile Burnat (1828-1920) ou Élysée Reverchon (1835-1914) sont d’autres grands noms qui ont prospecté dans les Alpes-de-Haute-Provence.
   Le premier est un très grand botaniste genevois qui, étudiant la flore des Alpes-Maritimes, a herborisé dans tout le bassin du Var, y compris sa partie bas-alpine.
   Le second, originaire de Bollène dans le Vaucluse, est connu comme infatigable récolteur professionnel qui vendait ses récoltes à des botanistes fortunés. Il a particulièrement prospecté la région d’Annot.

   Les annales des sociétés savantes sont une autre source importante d’enseignements.
   On trouve ainsi dans les Annales de la Société linnéenne de Lyon le récit d’une excursion d'Alphonse Gacogne (professeur d’histoire, membre des Sociétés botaniques de France, de Lyon et de la linnéenne de Lyon) dans l'Ubaye.

EXCURSION BOTANIQUE DANS LA VALLÉE SUPÉRIEURE DE BARGELONNETTE (Basses-Alpes), par M. Alphonse Gacogne. :
"Je partis de Lyon au milieu de juillet 1877, dans l'intention de visiter la partie supérieure de la vallée de l'Ubaye ; je devais prendre pour compagnon de courses le Capitaine des douanes de la Condamine, M. Lannes, votre correspondant et mon ami, qui connaît parfaitement la Flore des pays que nous devions parcourir.
[…]
Le temps était superbe ; c'était le cas de faire la plus longue de nos excursions, celle des lacs et du col Longet. M. l'abbé Brun, le Capitaine et moi partons en char à trois heures du matin, par un ravissant clair de lune et une tiède nuit. Le chemin côtoyait toujours l'Ubaye ; après une demi-heure nous passons devant le fort Tournoux, qui domine à gauche la vallée de l'Ubaye et de St-Paul, et à droite la vallée de l'Ubayette et de Larche. La rivière et la route occupent le fond de la vallée et sont bordées à droite par une haute muraille de rochers nus, dont quelques sommets ont encore de la neige ; le côté gauche, plus boisé, offre çà et là des cultures. Bientôt nous apercevons le clocher et les maisons du village de Tournoux dispersées sur la hauteur. La flore des prairies qui avoisinent St-Paul, sur la rive gauche de l'Ubaye, n'a rien d'intéressant pour le botaniste ; à part les Phyteuma Halleri AU., Centaurea leucophœa Jovi., Linaria italica Trev., et Thlaspi virgatum G. G., ce qu'on trouve ne vaut pas la peine d'être récolté.
[…]
Après une heure donnée au repos nous reprîmes notre route sans arrêt jusqu'aux lacs et au col Longet. L'herbe dans la prairie devenait moins épaisse, nous approchions des pâturages ; tout à coup j'entre dans un véritable champ d'Anémone narcissiflora en pleine floraison ; nous assistions donc au premier printemps dans cette région élevée. Au court gazon succèdent les rochers qui percent une terre maigre ; nous entendons à distance le sifflement aigu des marmottes cachées dans les pierres. Enfin, nous voici aux lacs Longet ; ils sont au nombre de trois qui se déversent les uns dans les autres et forment la source de l'Ubaye, grossie encore par les eaux d'un glacier voisin. Partout le sol est couvert d'énormes éboulis de rochers tombés des crêtes voisines, autour desquels nous récoltons avec ardeur Anemone baldensis L., Cerastium latifolium L. Sur cette terre que la neige avait abandonnée depuis peu croissent une multitude de bonnes espèces : Anemone baldensis L. Leontopodium alpinum Gass. Gardamine resedifolia L. Antennaria carpathica Bl. Fing. — alpina Willd. Hieracium subnivale G. G. Sisymbrium pinnatifidum L. Gentiana nivalis L. Viola calcarata L. — tenella Rottb. Gerastium latifolium L. Androsace carnea L. Potentilla pedemontana Reat. — obtusifolia Ail. Phaca alpina Jacq. Soldanella alpina L. Oxytropis campestris DC. Veronica alpina L. Alchemilla pentaphylloa L. — aphylla L. Saxifraga biflora AU. — serpillifolia L. — muscoides Wulf. — saxatilis Jacq. — bryoides L. Bartsia alpina L. - petraea L. Pedicularis rostrata L. Pedicularis rosea Jacq. Juncus trifidus. Lloydia serotina Sal. Juncus triglumis L.
Je laissai mes compagnons escalader pendant cinq à six minutes les rochers pour arriver sur l'arête du col et voir le Piémont ; je ne sentais plus que le besoin du repos ; j'étais surpris par ce malaise des montagnes qui contraint celui qui l'éprouve dans les régions élevées à faire en montant de fréquents arrêts pour respirer ; nous étions à 2655 mètres. Je ne ressentis rien ni à la descente ni sur un terrain uni. Il aurait fallu passer deux jours ici pour explorer à fond cette localité, mais il n'y a pas d'auberge. Nous reprenons donc le chemin de Maurin, avec le regret de n'avoir pu visiter les alentours du glacier. A six heures du soir nous remontons dans notre char ; puis nous laissons à St-Paul, M. l'abbé Brun, notre aimable compagnon de course, qui devait le lendemain franchir de nouveau le col de Vars pour revenir à son presbytère. Nous étions de retour à la Condamine à dix heures du soir, favorisés par un clair de lune magnifique qui nous laissait apercevoir la silhouette des montagnes et leurs formes fantastiques."

   Dans la même veine, on peut citer également Octave Meyran. Employé de commerce à Lyon, excursionniste passionné et amateur de botanique, il a été membre des Sociétés linnéenne et botanique de Lyon. Il conciliait ses passions en arpentant le Dauphiné et parfois l’Ubaye.

Excursions botaniques dans le Briançonnais et la partie supérieure de la vallée de l’Ubaye par Octave Meyran (août 1880) :
"24 août - Herborisation de Meyronnes au Lauzanier
[…]
Nous partons de Meyronnes, deux amis et moi, à 6 heures du matin ; une heure de chemin nous suffit à atteindre Larche. Là nous traversons l’Ubayette sur un rustique pont de bois pour aller cueillir le Cardamine asarifolia L., qui est très abondant dans les prairies humides. Malheureusement notre espérance est décue, car cette rare Crucifère a été détruite par les moutons.
Nous reprenons donc notre chemin dans la direction du hameau de Malboisset.
Dépassant Maison-Méane, nous franchissons le ruisseau d’Horonaye, puis, prenant le sentier à droite, nous atteignons en une heure et demie la belle prairie en pente douce qui se prolonge jusqu’à la cascade du Lauzanier. Dans cette prairie, et malgré que la plus grande partie en soit fauchée, nous récoltons :
Aconiton anthorum L., - lycoctonu L., Huguenina tanacetifolia Rchb., Brassica Richeriana Vill., Geranion aconitifolium L’Her., Alchemilla alpina L. Galion vernum L., Hypericon fimbriatum Lam., Leucanthemon alpinum Lam., Aronicum scorpioideum DC., Campanula barbata L., Pinguicula alpina L., …
[…]
… nous continuons notre route jusqu’au lac du Lauzanier que nous atteignons à 1 heure de l’après-midi
Le lac, à une altitude de 2204 m, forme le fond d’un cirque de rochers gris, dénudés, et dont quelques sommets sont encore couverts de neige. Nous trouvons dans les prairies qui entourent le lac :
Arenaria ciliata DC., Hierochloa borealis R.Schult., Parnassia palustris L., Sweertia perennis L., Eriophoron alpinum L., - capitatum Host.
[…]
À 8 heures du soir nous étions rentrés à Meyronnes.
[…]
Meyronnes me rappelle le souvenir d’un modeste et savant botaniste, M. Cogordan, qui, quoique âgé de 87 ans, m’accompagna dans quelques unes de mes herborisations en 1875. Ancien soldat de la Grande-Armée, contemporain de Balbis, d’Aunier, de Champagneux et de la pléiade des botanistes qui ont vécu à Lyon durant la première moitié de notre siècle, il avait conservé avec ces savants des relations d’une amitié sincère que la mort seule devait briser. Pendant plus de trente ans il consacra les loisirs que lui laissaient ses fonctions de Juge de Paix à Saint-Paul à l’étude de la Flore de la vallée de l’Ubaye. Il fut le guide de tous ceux qui allaient herboriser dans ces riches montagnes, et dans ses dernières années, ne pouvant presque plus sortir, il leur donnait avec une grande obligeance tous les renseignements qui pouvaient leur être utiles. Lorsque je le vis pour la dernière fois le 14 septembre 1875, il mit le comble aux bontés qu’il avait toujours eues pour moi, en me faisant don de son herbier, fruit de longues années de travail.
Il mourut deux mois plus tard, regretté de tous ceux qui avaient eu l’occasion d’apprécier la droiture et l’aménité de son caractère.
[…]
J’ai tenu ici à rendre hommage à ce savant perdu au fond de ses montagnes et dont la science n’avait d’égale que la modestie."

   Au fil de ces récits, nous rencontrons quelques-uns de ces Bas-Alpins qui, partageant une même passion de la botanique, participent à la connaissance de la flore des Alpes-de-Haute-Provence : M. Proal, instituteur à Bouzoulières (Faucon-de-Barcelonnette), M. Boudeille et J.-J. Lannes officier des Douanes dans l’Ubaye et le Briançonnais, D. Cogordan, Juge de Paix à Saint-Paul, l’abbé Olivier, curé à Enchastrayes ou encore Théodore Derbez, professeur à Barcelonnette.

   Ce dernier, a exploré toute la vallée de l’Ubaye et ses affluents en amont du Lauzet-Ubaye jusqu’au col de Longet, Larche et le Lauzanier. Ses récoltes (intitulées plantes de la Vallée de l’Ubaye) effectuées depuis 1890 jusque vers 1907, sont à l’origine d’un gros herbier (15.000 parts) déposé (et rénové) à l’A.M.U. centre de Saint-Charles (Marseille) sous l’autorité de Bruno Vila et Régine Verlaque. Cet herbier comporte notamment un grand nombre d’échantillons du genre Hieracium (épervières) dont certains sont possiblement des échantillons types. Un hybride Sedum x derbezii Petitm. (S. annuum L. x S. atratum L.) lui a été dédié par Petitmangin.

   À la fin de ce XIXe siècle, la connaissance floristique des Alpes-de-Haute-Provence a bien progressé, mais reste inégale.
   Si l’Ubaye, l’ouest de la Durance, les régions d’Annot et de Digne-les-Bains commencent à être bien connues, le Bassin du Sasse, le Plateau de Valensole ou les reliefs du Verdon sont encore peu prospectés.

Le XXe siècle jusqu’aux années 1990

   Au XXe siècle, le divorce avec la médecine est consommé, les universités des sciences prennent le relais. La botanique prend une dimension écologique avec l’essor de la phytosociologie. Les flores de référence évoluent, Flore de Bonnier au début du siècle, Flore de Coste dans les années 1920, Flore de Fournier dans les années 1940 et Flore du CNRS dans les années 1960.
   Dans notre département, les prospections se poursuivent, les thèses et travaux universitaires se multiplient, un catalogue raisonné de la flore des Alpes-de-Haute-Provence rassemble et analyse les données disponibles.

   Le catalogue raisonné de la flore vasculaire des Alpes-de-Haute-Provence

   Au début du XXe siècle, les prospections se poursuivent.
   La Société Linnéenne de Provence est créée en 1909, de nombreux récolteurs ou botanistes accumulent des observations.
   Émile Derock et Jean-Baptiste Maurin rédigent un catalogue (qui reste sous forme de manuscrit) de la flore du secteur d’Allos.
   Pierre Le Brun et Joseph Soulié, abbé de son état, explorent à bicyclette le sud du département, et notamment les grandes gorges du Verdon où ils observent Phyteuma villarsii R.Schulz et Asplenium jahandiezii (Litard.) Rouy.

D’Auvillac à Nice, par les Causses, le Vivarais et les Alpes de Provence - ou vingt jours de cyclo-herborisation - par MM. l’abbé Soulier et P. Le Brun. :
"
Le soir [du 11 juillet 1919], une excursion de trois jours fut décidée. […] l’attrait du Midi et de la montagne l’emportant, nos deux botanistes allaient prendre, le 13 juin, le train à Orange, et le soir même, ils débarquaient à Draguignan.
Pour gagner du temps, l’on décida de gagner de nuit, à bicyclette, Comps et le pont de Carajuan, point des gorges du Verdon qui devait servir de centre de récoltes. […]
À l’entrée des gorges du Verdon, entre le pont-Soleil et le pont de Carajuan (Basses-Alpes), sur le talus de la route de La Palud, en abondance le rare Arenaria cinerea D.C.
Les corniches de rochers surplombant la route à l’aval du pont de Carajuan, les grottes de la rive droite de la rivière, le plateau des Fossiles, d’où la vue embrasse, saisissante, l’infernal tableau formé par l’entrée du grand cagnon du Verdon ; toute cette région, qui constitue un véritable jardin botanique, lieu de rendez-vous de plusieurs endémiques, fut exploré avec soin, et une splendide récolte ne tarda pas à récompenser le zèle de M. l’abbé Soulié qui, insouciant du vertige, s’était aventuré sur les grands escarpements dominant la route, en aval du pont de Carajuan.
Successivement furent récoltés : Arenaria capitata Lamk. ; Arenaria cinerea D.C. ; Moehringia dasyphylla Bruno ; Hypericum coris L. ; Genista villarsii Clem. ; Astragalus incanus L. ; Astragalus aristatus L’Her. ; Astragalus purpureus Lamk. ; Paronychia serpyllifolia D.C. ; Telephium imperati L. ; Galium pusillum L. ; Serratula nudicaulis D.C. ; Campanula macrorhiza Gay ; Phyteuma villarsii R.Schultz ; Passerina dioica L. Asplenium jahandiezii R.Lit.
[…]
Un violent orage immobilisa les deux voyageurs pendant plus d’une heure au pont-Soleil. Puis la course continua, vers Castellane, par les importants défilés de la clue de Taulane et des Cadières de Brandis, dont les rochers, couverts de magnifiques thyrses du Saxifraga lantoscana Boiss. et Reut., abritaient, là encore, le précieux Asplenium.
Le Monde des Plantes n° 121, 1919"

   Cependant, depuis S.-J. Honnorat, toutes ces observations restent, au moins pour les Alpes-de-Haute-Provence, éparses et plus ou moins confidentielles.

   Dans les années 1910 Louis-Auguste Dessalle se propose de compiler et d’analyser toutes les données disponibles, initiative à laquelle il se consacre pendant 20 ans, jusqu’à son décès en 1931.
   De sa rencontre, dans les années 1920, avec Louis Laurent, maître de conférence à la Faculté des Sciences de Marseille qui poursuit ce travail, va naître le Catalogue raisonné de la flore vasculaire des Basses-Alpes.

   Les deux premiers tomes sont publiés par L. Laurent en 1935 et 1940. 1202 des 2326 espèces du catalogue y sont présentées.
   À la mort de Louis Laurent, c’est son élève, Gabriel Deleuil (1912-1983) qui, sur la base des documents transmis par la famille de L. Laurent, reprend le flambeau. Il parcourt inlassablement durant plus de vingt ans les routes et les sentiers du département, pour compléter, réactualiser, critiquer l’inventaire floristique bas-alpin, mais décède avant la parution des 2 derniers volumes.
   Ceux-ci sont publiés par Pierre Donadille, en 1986 et 1989.
   À la fin des années 1980, ce sont ainsi près de 50.000 données concernant les Alpes-de-Haute-Provence qui sont compilées, analysées finement et, pour une bonne part d’entre-elles, assez bien localisées.

   Les travaux universitaires et l’apport de la phytosociologie

   Après la seconde guerre mondiale les publications de chercheurs ou d’organismes scientifiques se multiplient. Elles concernent essentiellement la phytosociologie.
   Charles Flahault, l’un des pères français de la discipline avait herborisé dans les Alpes-de-Haute-Provence. Par ailleurs mentor de L.-A. Dessalle et L. Laurent, il a joué un rôle non négligeable dans leurs décisions de se lancer dans l’aventure du Catalogue raisonné des Basses-Alpes.
   Josias Braun-Blanquet, père de l’école dite zuricho-montpelliéraine de phytosociologie a herborisé en Ubaye pour la rédaction de la végétation alpine et nivale des Alpes françaises (1954).
   Le centre Saint-Charles de la Faculté des Sciences de Marseille a compté un important groupe de biologistes du monde végétal dirigés par le Professeur René Molinier - phytosociologue de renom. Dans les années 1950 cette équipe a levé des cartes de végétation au 1/50.000 de la Provence, dont, bien sûr, les Alpes-de-Haute-Provence.
   Les apports de ces différents travaux sont de plusieurs ordres.
- Ils nécessitent le plus souvent des inventaires qui viennent enrichir le stock de données.
- Ils permettent d’appréhender et de comprendre la répartition des espèces.
- Ils expliquent ou précisent des points particuliers. Il en est ainsi, par exemple, de la thèse soutenue en 1960 par André Lavagne sur la végétation forestière de l’Ubaye, de celle de Claude-Charles Mathon sur les phytocénoses de la montagne de Lure, ou encore d’études sur tel ou tel taxon ou groupe de taxons difficile.

   À la fin des années 1980, on recense environ 121.000 observations (contre ± 14.000 au début du siècle). Cependant ces observations sont inégalement réparties et la prospection du département reste en grande partie insuffisante.
   Mais la fin du XXe siècle va voir une conjonction remarquable d’évènements qui impulsent une dynamique nouvelle à la botanique en général et à la connaissance de la flore des Alpes-de-Haute-Provence en particulier.

De la fin du XXe siècle à nos jours

   Dans les laboratoires de biologie et de botanique, sont mis au point des outils permettant des approches plus fines du vivant, génétiques et moléculaires. Les chercheurs progressent dans les concepts fondamentaux d’espèce et d’évolution, améliorant ainsi la taxonomie.
   La formidable révolution numérique facilite, avec les progrès de l’informatique et la création du Web, la gestion et les échanges de données et d’informations.
   Les années 2000/2010 voient aussi aboutir des synthèses nouvelles de groupes difficiles (orchidées, ombellifères, fabacées) et des flores ou atlas intégrant ces nouveautés : Flora Alpina, Flore méditerranéenne, Flora Gallica, Flore forestière méditerranéenne, Flore du Vaucluse, Atlas des plantes remarquables des Hautes-Alpes, des Alpes-Maritimes, du Var…

   En 1988 sont créés les Conservatoires botaniques nationaux avec entre autres missions :
- La connaissance de l'état et de l'évolution, appréciés selon des méthodes scientifiques, de la flore sauvage et des habitats naturels et semi-naturels ;
- L'identification et la conservation des éléments rares et menacés de la flore sauvage et des habitats naturels et semi-naturels.
   Le Conservatoire botanique national alpin (CBNA), installé à Gap, est agréé en 1993. Son territoire d’agrément comprend les Alpes-de-Haute-Provence.

   En 2002 est créée, sous l’impulsion de Christian Boucher, botaniste spécialiste de la flore des montagnes méditerranéennes, l’association Infloralhp. Regroupant des amateurs, des passionnés et des professionnels de la botanique et de la gestion des espaces naturels, elle a pour objet, à travers une convention avec le CBNA, la réalisation d’un Atlas de la flore des Alpes-de-Haute-Provence.
   Depuis leurs créations respectives, CBNA et Infloralhp ont mené une prospection systématique du département permettant de disposer, en 2017, de ± 1 million d’observations (dont plus ou moins 250.000 d’Infloralhp). Le statut des 3600 espèces et sous-espèces citées dans le département a été analysé. Des notices ont été rédigées et des cartes de répartition éditées pour les 2800 taxons considérés comme avérés ou plausibles dans les Alpes-de-Haute-Provence.

   La Botanique de demain

   En 2017, il reste des taxons ou groupes de taxons problématiques (épervières, alchémilles, potentilles…) pour lesquels seuls les progrès (à venir ?) de la botanique permettront d’avancer, tant dans la compréhension de ces groupes que dans la connaissance de la présence et de la répartition de leurs spécimens dans notre département.
   C’est une lapalissade, la flore et son évolution sont influencées par les modifications que l’homme apporte aux milieux. Celles-ci sont de deux ordres. D’une part le changement climatique dont les effets sont déjà bien visibles en haute montagne avec une remontée générale des espèces qui suivent (plus ou moins facilement) le réchauffement. D’autre part les modifications plus locales liées aux activités humaines : agriculture, urbanisation, infrastructures…
   Compléter et corriger la perception actuelle de la flore du département et suivre son évolution seront les objectifs des botanistes bas-alpins dans les années qui viennent.
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